Episodios

  • «Les Enfants Rouges», les bergers et les barbares
    May 4 2025

    Le nouveau film du cinéaste tunisien Lotfi Achour nous plonge dans la psyché d’une famille rurale traumatisée par l’assassinat d’un jeune berger par un groupe djihadiste. Un long-métrage inspiré de faits réels.

    Le 15 novembre 2015, un jeune berger de 16 ans nommé Mabrouk Soltani était assassiné et décapité dans la montagne de Mghila (centre-ouest de la Tunisie, non loin de la frontière avec l’Algérie) par un groupe de jihadistes. Son cousin avait rapporté la tête de la victime, que ses proches avaient conservée dans le réfrigérateur familial, dans l’espoir de récupérer le corps un peu plus tard.

    Le drame, relayé par les réseaux sociaux et des médias pas toujours décents, avait bouleversé toute la Tunisie et marqué une nouvelle étape dans la décennie noire que vivait le pays. Profondément touché, le réalisateur Lotfi Achour a voulu, en réalisant Les Enfants Rouges, témoigner à la fois de la barbarie terroriste et de l’abandon par les autorités des populations rurales et pauvres de cette région. Une manière de documenter, de transmettre, de faire réfléchir et d’interroger la mémoire collective.

    Le film reprend la dure réalité des faits et nous fait entrer dans l’intimité des familles endeuillées et frappées de stupeur. Un deuil et une sidération d’autant plus douloureux que sans le corps, il était impossible de donner une sépulture décente à l’adolescent tué.

    Lotfi Achour a choisi de plonger les spectateurs dans la tête de l’enfant survivant, nommé Ashraf dans le film. Le personnage, incarné par Ali Helali, est criant de vérité. C’est pourtant son premier rôle au cinéma, de même que pour Yassine Samouni qui incarne la victime – rebaptisée Nizar – ou pour Wided Dabebi, qui interprète leur amie Rahma. Tous trois sont originaires de la région, tout comme la plus grande partie des acteurs adultes. Dans le même souci d’authenticité, le film a également été tourné en dialecte local. D’autant plus important que le cinéma tunisien, d’après le réalisateur, a peu l’habitude de parler avec justesse du monde rural, mettant le plus souvent en avant les décors et les histoires urbaines.

    Dans cette même optique, le film met en valeur, par l’image et par le son, les paysages et la faune de cette région montagneuse, truffée de mines. Il s’en dégage une impression de dureté, mais aussi de beauté imprégnée de poésie et d’onirisme. Quant aux personnages, ils sont filmés sans misérabilisme, avec une humanité qui met en avant une souffrance, une colère et des interrogations pleines de dignité. Le franc sourire de Rahma apporte même – par petites touches – une inattendue touche d’espoir en l’avenir.

    Les enfants rouges de Lotfi Achour, au cinéma le 7 mai.

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    22 m
  • «Les Vagabondes», ensemble à la guerre comme à la guerre
    May 3 2025

    À travers la rencontre et l’errance pleine de rebondissements de deux Allemandes que tout oppose, le romancier Florian Ferrier nous plonge dans l’Allemagne occupée et finissante des dernières semaines de la Seconde Guerre mondiale.

    En ce début de printemps 1945, les combats font rage sur le sol allemand. À l’est, le 16 avril, les Soviétiques commencent à encercler Berlin. À l’ouest, la 7e armée américaine a franchi le Rhin et les Allemands peinent à maintenir leurs positions. C’est dans ce contexte d’un IIIe Reich finissant que les deux héroïnes du roman de Florian Ferrier vont se rencontrer, et bon gré mal gré, devoir collaborer.

    La première de ces deux femmes s’appelle Ilse Wolfe. Elle a 22 ans et porte fièrement l’uniforme de la BDM, la branche féminine des Jeunesses hitlériennes. Fervente nazie, elle attend depuis longtemps l’occasion de se couvrir de gloire et accueille avec une certaine fierté l’étonnante mission que lui confie le général SS Prützmann : gagner Francfort en planeur avec un commando et enlever une écrivaine au nez et à la barbe de l’occupant américain.

    Cette écrivaine est la deuxième héroïne du roman. Hanna Meissner est une opposante de toujours au régime hitlérien. Son troisième roman La Leçon a remporté un immense succès, mais elle n’en a pas profité longtemps, car à leur arrivée au pouvoir, les nazis ont interdit et brûlé ses livres. Elle a dû trouver refuge de l’autre côté de la frontière dans un pays neutre, la Suisse. Et c’est dans sa retraite helvète que les Américains sont venus la chercher. Avec une idée précise en tête : lui demander de rentrer en Allemagne, de prendre la parole lors de réunions publiques et d’exhorter ses compatriotes à rejoindre le camp des Alliés.

    D’abord hésitante, Hanna Meissner se laisse finalement convaincre et entre dans Francfort, assise à l’arrière d’une Jeep américaine. Tout n’est que désolation : la ville est un champ de ruines et la population, profondément démoralisée par les bombardements, manque d’eau, de charbon et de nourriture. Au sein de la Wehrmacht, les désertions s’enchaînent. Certains civils se retrouvent sur les routes de l’exode.

    C’est dans cette Allemagne à l’agonie que les deux femmes vont devoir traverser ensemble, dans une errance pleine de rebondissements qui donne son titre au roman. Et nouer ainsi, par-delà leur différence de génération et leurs divergences idéologiques, une relation aussi forte que singulière, qui les marquera à jamais.

    Pour bâtir son récit, Florian Ferrier s’est inspiré de faits réels. L’écrivain a publié en 2023 toujours chez Buchet-Chastel Étoile Rouge, un autre destin au féminin, plongé dans le chaos de la Deuxième Guerre mondiale. Son personnage, Lenka, était inspiré de l’histoire vraie d’une tireuse d’élite de l’Armée rouge, le sergent-major Roza Chanina.

    Les Vagabondes, de Florian Ferrer, est paru chez Buchet-Chastel.

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    20 m
  • En Grèce dans les années 30, de la censure dans l’air
    Apr 27 2025

    Dans son nouvel album Rébétissa (Futuropolis), David Prudhomme raconte comment le régime de Metaxas dans la Grèce des années 30 s’en est pris au rébétiko, la musique des exilés rébètes.

    Du 4 août 1936 à sa mort le 29 janvier 1941, la Grèce a vécu sous la férule du Premier ministre Ioannis Metaxas, militaire qui s’est illustré dans la guerre de 1897 contre l’Empire ottoman. Le régime de Metaxas était une dictature, inspirée de l’autoritarisme développé en Italie par Benito Mussolini. Les grèves sont déclarées illégales, les ciseaux de la censure sont de plus en plus actionnés.

    Dans le collimateur des autorités, il y a notamment les rébètes, ces marginaux, souvent originaire d’Asie Mineure. Ils exercent des activités peu lucratives : ils sont dockers, garçons d’abattoirs, pêcheurs ou petits artisans… Fumeurs de hashish, ils se livrent souvent à de menus larcins pour fuir la misère, et se retrouvent alors face à face avec la police.

    Cette vie de bohème, les rébètes la racontent dans des chansons populaires, les rébétika, pour lesquelles l’auteur de cet album de bande dessinée, David Prudhomme, a eu un véritable coup de cœur. À la fin de l’album, il propose d’ailleurs une playlist très fournie, qu’il n’est évidemment pas interdit d’écouter pendant la lecture, d’autant que certains titres ont été intégrés à son récit. On peut notamment citer Varvara, de Stellakis Perpiniadis, et Vagellitsa de Yannis Papaioannu.

    Le rébétiko est un genre musical qui émergea dans les années 1920 avec l’arrivée de vagues migratoires de populations hellénophones expulsés d’Asie Mineure. C’est ce que l’on appelle « la Grande Catastrophe », qui s’est soldée par le massacre ou l’expulsion de chrétiens d’Anatolie, et notamment de la région de Smyrne contrôlée par la Grèce.

    C’est justement de Smyrne que sont originaires plusieurs des artistes que met en scène David Prudhomme dans son album, confrontés à la censure du régime de Metaxas, qui entend éradiquer des accents beaucoup trop orientaux à son goût, et revenir à une forme de « pureté » originelle.

    Face à la menace, les joueurs de bouzouki, de baglama, de santouri, de kanonaki, d'outi ou d'accordéon doivent-ils ranger leurs instruments et courber la tête, ou prendre le risque de continuer à jouer dans le café où ils ont scène ouverte ? La patronne du café, la pétulante Katina, leur laisse le choix. Mais le dilemme est cornélien.

    Il y a 15 ans, David Prudhomme était primé au festival d’Angoulême pour son album « Rébétiko ». 15 ans après, il publie « Rébétissa » qui est en quelque sorte la petite sœur du premier, puisqu’il met cette fois en vedette deux femmes, deux chanteuses : la séduisante Béba et l’ambitieuse Marika.

    «Rébétissa», de David Prudhomme, est paru aux éditions Futuropolis.

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    21 m
  • Enfance de larmes, enfance de l’art
    Apr 26 2025

    Au Studio Hébertot, l’auteur et metteur en scène Olivier Lusse Mourier présente « Le Bétin », une pièce sensible et poétique qui raconte les maltraitances qu’il a subies lorsqu’il était enfant, et son cheminement pour se reconstruire.

    Paradoxalement, c’est une éclipse de soleil qui a fait se lever la lumière : la dernière du XXè siècle en France, celle du 11 août 1999. En entendant l’annonce à la radio, Axel (Thomas Priscoglio), un jeune danseur et comédien trentenaire, est subitement submergé par la mémoire de ce qu’il a subi durant son enfance à Reims, dans l’est de la France, une des villes où l’on a pu observer l’éclipse.

    C’est ce déclic qui bizarrement a fait ressurgir les souvenirs douloureux de la maltraitance, et l’a décidé à retourner voir la psychanalyste Cécile Sales (Bérangère Dautun). Commence alors une série de rendez-vous qui vont lui permettre de regarder la vérité en face et -petit à petit- de l’affronter et même de se reconstruire.

    Le plateau du Studio Hébertot a été transformé en cabinet de psychanalyse : plusieurs sièges dont l’incontournable divan, le bureau derrière lequel trône la praticienne, expérimentée, empathique et très attentive au récit fragmenté de son patient. Mais celui que le spectateur voit dès son entrée en salle, c’est le pantin assis en bord de scène, à quelques centimètres du premier rang. Le Bétin c’est lui. Il est l’incarnation à la fois du traumatisme et de la voix intérieure du personnage, que l’on entend à travers une voix off.

    Un bétin, en patois rémois, c’est un mot qui désigne un abruti ou un attardé mental. Tout sauf un compliment. C’est pourtant le mot qu’utilisait le père du petit garçon (Antoine Gatignol), quand il parlait de son fils. Un père dur, tyrannique, colérique et alcoolique qui brutalisait verbalement, psychologiquement et physiquement son fils. Le petit Axel, terrorisé par les cris, les menaces, les privations et les interdictions, a toujours refusé de l’appeler « Papa », malgré les demandes répétées de sa maman Marguerite (Maurine Dubus), une épouse fragile, immature et instable, d’une grande maladresse et capable elle aussi de moments de violence.

    Cette histoire douloureuse, l’auteur et metteur en scène Olivier Lusse Mourier ne l’a pas inventée : c’est la sienne. « Le Bétin » est le troisième volet d’une aventure commencée en 2021 avec la publication d’un livre éponyme aux éditions Maïa, bientôt suivie d’un court-métrage. La pièce est rigoureusement fidèle à ce qu’il a vécu. Elle raconte aussi comment sa fibre artistique (ses talents de dessinateur et de danseur notamment), étaient en lui depuis le plus jeune âge, et comment, à l’instar du rêve et de l’imagination, elle lui a permis de tenir et de s’exprimer. Le spectacle en fait foi : il est ponctué de moments oniriques et poétiques bienvenus, qui insuffle une bonne dose d’espoir aux victimes en quête de résilience.

    « Le Bétin », écrit et mise en scène d’Olivier Lusse Mourier, est à l’affiche du Studio Hébertot jusqu’au 1er juin.

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    20 m
  • Le génocide cambodgien, mémoire vive entre les tours
    Apr 20 2025

    50 ans après le début du génocide des Khmers Rouges, le Forum des Images projette le documentaire Tours d’exil de Jenny Teng qui met en lumière les souvenirs de la diaspora cambodgienne à Paris.

    « Qui se souvient du génocide cambodgien ? ». C’est le titre du cycle que propose le Forum des Images à Paris, du 15 avril au 4 mai, sous le parrainage du cinéaste Rithy Panh : 40 films pour ne pas oublier, 50 ans après l’entrée des Khmers Rouges dans Phnom Penh et le coup d’envoi d’un génocide qui allait faire entre un million et demi et deux millions de morts dans les années 1975-1979. Objectif de la révolution prolétarienne et agraire à la fois : déraciner les citadins et dissoudre aussi bien les familles que les traditions de toutes sortes (politiques, intellectuelles ou culturelles…), et mettre fin aux activités professionnelles d’avant la révolution.

    C’est ce souvenir que fait émerger la Jenny Teng dans son documentaire Tours d’exil (2009), à travers les témoignages de Pha, Ta Meng, So Savoeun et Boudha. Leur terre d’asile : les tours du XIIIe arrondissement de Paris, au cœur du quartier asiatique, où se sont installés de nombreux réfugiés sino-khmers dans les années 70-80. Une communauté que la réalisatrice Jenny Teng connaît bien : elle en fait partie, et a ainsi pu recueillir les confidences de ses proches, qui livrent des témoignages empreints des violences dont ils ont été victimes et témoins, et des douleurs de l’exil.

    Avec beaucoup de pudeur, Rum Pha, la mère de la cinéaste, raconte son arrivée en France, la promiscuité et la débrouille pour gagner sa vie, sur fond d’inquiétude pour la famille restée au pays, d’autant que les informations sont alarmantes, et que les annonces de nouveaux morts se succèdent.

    Ta Meng a du mal à cacher son émotion quand il raconte comment il a fui Phnom-Penh avec sa fille de 7 ans pour trouver refuge au Vietnam, ultime escale avant Paris.

    Boudha se souvient comment les Khmers Rouges étouffaient leurs victimes avec des sacs en plastique. Même à Paris, il garde un bâton sous son lit pour se défendre en cas d’attaque nocturne.

    Quant à la chanteuse So Savoeun, elle a transité par un camp de réfugiés thaïlandais avant de rejoindre la France et de partager son art avec les clients d’un restaurant au pied des tours.

    La caméra de Jenny Teng accompagne ces témoins dans la vie quotidienne du quartier, entre traditions cambodgiennes - notamment musicales et culinaires - et usages européens. Des appartements aux boutiques et restaurants, des sous-sols au parvis en passant par la salle de danse, c’est aussi tout un univers que l’on découvre, une petite Asie en pleine agglomération parisienne.

    Tours d’exil de Jenny Teng, est projeté le 22 avril 2025 au Forum des Images à Paris, en présence de la réalisatrice. Également annoncés : le réalisateur Nara Keo Kosal pour son film Héritages en images, la chercheuse Hélène Le Bail et les artistes Rotha Moeng et Randal Douc.

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    20 m
  • «Jésus aux enfers» de Thierry Robin, (presque) parole d'Évangile
    Apr 19 2025

    Dans son album Jésus aux enfers (Soleil), Thierry Robin raconte ce que les Évangiles de la tradition chrétienne ne racontent pas : les trois jours que le Christ a passés aux enfers, entre sa mort sur la croix et la résurrection.

    Chaque dimanche à la messe, les chrétiens proclament leur foi dans la résurrection du Christ. L’un des textes du Credo, le Symbole des Apôtres, précise que Jésus « est descendu aux enfers ». Pourtant, les quatre évangiles canoniques ne disent rien de ces trois jours qui séparent la crucifixion de la résurrection.

    C’est dans cet interstice que s’est engouffré Thierry Robin, suite à la découverte de l’Évangile de Nicodème, un texte apocryphe écrit en grec qui date du IIe siècle, qui relate le procès de Jésus face au préfet romain de Judée Ponce Pilate, mais aussi la chronique de la descente de Jésus aux enfers. Un texte que, dans la préface de l’album, Thierry Robin décrit comme « saisissant, imaginatif (avec) plein d’éléments appartenant au domaine du fantastique, et somme toute très cohérent avec les textes du Nouveau Testament ».

    C’est ainsi que le scénariste et dessinateur, habitué des grandes fresques historiques (La Mort de Staline, Mort au Tsar, Pierre rouge, Plume noire chez Dargaud), s’est lancé dans la mise en scène de ce récit, qui fait écho à nombre d’épisodes et de personnages de la Bible. Un récit graphique haletant avec une iconographie inspirée à la fois des arts du Moyen-Age et de la Renaissance, mais aussi de références extra-européennes, mêlées à des univers fantastiques, voire de science-fiction. Un mélange baroque qui fonctionne à merveille.

    À son arrivée dans le Shéol, le séjour des morts, il rencontre Abraham, Moïse, Noé, Jean Le Baptiste et nombre d’autres défunts que les lecteurs des livres saints connaissent bien. Des moments savoureux qui feront sourire les initiés, et permettront aux autres d’apprendre en s’amusant, et en lisant au passage quelques extraits savamment choisis des textes sacrés. La rencontre du fils de Dieu et des Damnés vaut aussi le détour : le temps d’une séquence, l’album bascule alors dans une gamme chromatique complètement différente.

    Mais c’est le face à face avec Satan qui marque sans doute le plus le lecteur. Comme il le dit lui-même, il a beaucoup de visages, et le dessinateur n’hésite pas à le représenter sous des formes plus ou moins effrayantes. Mais c’est sous une apparence anthropomorphe inspirée du film d’Ingmar Bergman Le septième sceau (1957) que le démon apparait tout d’abord à Jésus, représenté pour sa part de façon assez classique, avec barbe, cheveux sur les épaules et vêtement blanc. Dans le cours du récit, les deux personnages évoquent leurs souvenirs terrestres, et se livrent à un pas de deux aigre-doux. Les dialogues sont ciselés, le temps d’un duel verbal dont le Christ sortira bien évidemment vainqueur.

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    20 m
  • L’icône des Femen à l’assaut de la toile
    Apr 13 2025

    Dans Oxana (sortie le 16 avril 2025), Charlène Favier raconte la naissance du mouvement Femen à travers le combat pour la liberté, la démocratie et le féminisme d’une jeune Ukrainienne, incarnée par Albina Korzh. Un film librement inspiré d’une histoire vraie.

    C’est un destin exceptionnel que nous conte Charlène Favier dans son nouveau film. Comme le précédent, son premier long-métrage Slalom, Oxana est le portrait d’une femme, une combattante, à la fois fragile et forte. Cette fois, l’héroïne se prénomme comme Oxana Chatchko, peintre ukrainienne qui a cofondé à Kiev (Ukraine) en 2008 le mouvement féministe Femen, aux côtés d’Oleksandra Chevtchenko et d’Anna Hutsol. Le film est librement adapté de sa vie, aussi bien artistique que militante.

    Peintre, Oxana l’est depuis son adolescence à Khmelnytskyi, dans l’ouest de l’Ukraine. Sa spécialité : les icônes, que lui commande un pope pour le compte des fidèles de sa communauté orthodoxe. Un talent qu’elle va faire prospérer quelques années plus tard à Paris, où elle devient étudiante aux Beaux-Arts. À la veille du vernissage de sa première exposition dans une galerie de la capitale française, elle se définit devant une journaliste comme « réfugiée politique, artiste, activiste, sextrémiste ».

    Le film fait des allers-retours entre l’Ukraine et Paris, et entre ces deux époques. Il raconte l’éveil de la jeune femme aux combats militants : son aspiration à la liberté, notamment celle des femmes ; son hostilité à la prostitution, à la corruption et à la dictature en Ukraine, en Russie ou en Biélorussie, ou à la mainmise de la religion dans la société. Petit à petit, avec ses amies Lada et Anna, Oxana organise des réunions et des manifestations pour porter ces revendications.

    Le groupe gagne en médiatisation et en influence lorsque les jeunes femmes se rendent compte qu’en manifestant seins nus, avec des slogans écrits sur la poitrine, elles font scandale et concentrent donc l’attention des médias et du public, par vidéos interposées. « Nos seins, ce sont nos armes », explique Oxana à ses camarades.

    Leur influence essaime alors dans plusieurs pays européens, et notamment la France, où Inna Chevtchenko devient rapidement une figure médiatique aussi populaire que controversée. Le film montre ainsi que les chemins d’Inna et d’Oxana se sont vite séparés, les deux jeunes femmes ayant des visées tactiques différentes.

    C’est l’actrice ukrainienne Albina Korzh qui incarne Oxana devant la caméra. Charlène Favier sublime la jeune femme, à travers une esthétique léchée et picturale, pas très éloignée au fond de la peinture d’icônes pratiquée par le personnage. Dans son regard, on lit tour à tour les affres de l’amour, ses espoirs, sa colère et sa détermination farouche, mais aussi sa mélancolie, ses souffrances et sa détresse.

    Le film devait être tourné en Ukraine, l’invasion russe en a décidé autrement. Il a fallu se replier en Hongrie. Mais les comédiennes ukrainiennes ont donc tourné dans un contexte bien particulier. Avec en tête un autre combat.

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    19 m
  • Elvis Presley, l’ange et le prophète
    Apr 12 2025

    Dans Le King et le Prophète, la romancière Héloïse Guay de Bellissen se glisse dans la tête de son jumeau mort-né et raconte Elvis Presley à l’aune de sa passion pour le best-seller de Khalil Gibran.

    Depuis son premier single à succès, Heartbreak Hotel en 1956, Elvis Presley s’est installé au premier rang des stars mondiales de la musique. La puissance de sa voix, son charisme inouï et sa présence sur scène inégalée – avec ses fameux mouvements de hanche aussi sensuels que caractéristiques – sont entrés dans la légende. Qui aujourd’hui encore ne connaît pas un des tubes iconiques de cet artiste qui n’a écrit aucune de ses 600 chansons, mais qui s’est révélé un interprète hors pair ?

    Ce que l’on sait moins, c’est que ce garçon issu d’un milieu modeste était aussi le lecteur insatiable d’un livre qui le marquera à vie : Le Prophète, le best-seller mondial de Khalil Gibran, un ouvrage devenu un véritable vade-mecum pour le chanteur de rock’n’roll, comme d’ailleurs dans les années 60 pour de nombreux hippies. Une passion livresque qui l’a conduit à acheter plusieurs centaines d’exemplaires de l’ouvrage pour les offrir à son entourage, non sans les avoir annotés ou en avoir souligné les passages qui lui semblaient les plus marquants.

    C’est cette rencontre entre musique et littérature qui a donné envie à la romancière Héloïse Guay de Bellissen d’écrire cette biographie originale d’Elvis Presley, logiquement intitulée Le King et le Prophète. Chaque chapitre du livre s’ouvre ainsi par un passage du roman de Khalil Gibran souligné par la star, ou par une « marginalia », c’est-à-dire une note écrite dans la marge, qui reflète la sagesse du poète libano-américain, mais aussi de son disciple à la banane enduite de gomina.

    Autre originalité du roman et qui en fait tout le sel : le narrateur. L’autrice a choisi de faire parler Jesse Garon Presley, le frère jumeau d’Elvis, né lui aussi le 8 janvier 1935 à Tupelo (Mississipi), et mort quelques heures après. Un ange gardien qui, depuis l’au-delà, regarde sa « gueule d’ange » de frère d’un œil à la fois affectueux et ironique. C’est donc lui qui raconte les « premières fois » d’Elvis : son premier disque – sous la houlette du producteur de Sun Records Sam Phillips – ; son premier jour à l’armée, sa première fille, sa première trahison… Et bien évidemment, la rencontre avec la future mère de son enfant, quand le héros est sous les drapeaux en 1959 : à l’époque, le jeune homme n’a que 24 ans, mais il est déjà une star internationale ; la jeune Priscilla n’en a que 14. Le style se fait tendre quand il rend hommage à leur mère, ou nettement plus critique quand il évoque le « Colonel » Parker, controversé imprésario de la star, son éternel cigare à la bouche.

    Un roman à lire en écoutant – ou en réécoutant – les plus grands succès du King.

    Le King et le Prophète, d’Héloïse Guay de Bellissen, est publié aux éditions Rivages.

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    20 m
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